Note
Antoine Martinet qualifie le communisme imposé par la loi comme Statolatrie
(le culte de l'État).
En effet, déjà en 1848, il avait bien compris, que "on
se précipitera dans le communisme au cri: A bas le communisme!"
Il suffira que les hommes de tous les partis se battent, comme ils le faisaient, à faveur de l'État et le résultat final sera "l'Omnipotence de l'État" c'est à dire le communisme légal, mieux qualifié comme Statolatrie.
Bien sûr cela n'a rien à quoi voir avec le communisme comme égalité et fraternité et tout avec l'étatisme comme domination et manque de liberté.
CHAPITRE I
Où est le communisme et d’où il vient
Aux armes! Le communisme est là ! voilà ce qu’on dit partout en frémissant, et partout on a raison de le dire et de frémir. Le communisme, en effet, c'est la déchéance totale de l'homme au moral et au physique. L'individu humain, dans ce système, n'est même plus une machine, un automate complet : c'est un imperceptible rouage du vaste mécanisme de l'Etat.
Le communisme est partout. Il est en France, encore plus ailleurs. Apres avoir essayé de nous prendre en queue par Berne, ce qui ne pouvait le faire triompher qu'à Fribourg et dans le Valais, il manoeuvre maintenant sur notre front. S'il gagne la bataille, il montera à l'une des tours de Saint-Sulpice pour dire à l'Europe : La capitale est prise, rends-toi!
- Mais il a été battu.
- Vous le croyez? Je pense, au contraire, que cette défaite a sauvé le communisme. Il n'a perdu que ceux qui allaient le perdre par une application violente et prématurée. Battu dans la rue, où il n'aurait triomphé que pour sa perte, il rentre dans son fort, je veux dire dans les assemblées législatives, où ses ennemis vont consolider son trône en croyant sceller son tombeau. Ce qu'on lui refuserait sous la blouse de l’ouvrier en armes, il l'obtiendra probablement sous le manteau de la légalité.
Que le communisme soit sage; que, tout en conservant et propageant ses principes, il abjure son nom justement abhorré; qu'il se couvre du nom adoré d'Etat, et que, exploitant les craintes qu'il inspire, il sollicite, au nom de l’Etat menacé par le communisme, le sacrifice des restes de libertés que les vaincus voulaient abolir à coups de baïonnettes, il y a beaucoup à parier qu'il réussira. On se précipitera dans le communisme au cri: A bas le communisme!
Et croyez qu'il reste bien peu a faire. Que faut-il pour que l'Europe accomplisse cette dernière évolution (ce ne serait pas une révolution)? Moins de temps peut-être qu'il ne m'en faudra pour achever et publier cet opuscule, que j'expose à périr, comme deux de ses aines, aux milieu des barricades.
- Mais ne voyez vous pas que le communisme est impossible? C'est le rêve de quelques fous.
- Oui, je vois ce que vous voyez; personne ne veut du communisme, pas même ceux qui le prêchent, sauf quelques dupes. Mais je vois ce que vous ne voyez pas, faute d'attention; tout le monde, à peu d'exceptions près, a travaillé jusqu'ici, travaille encore au triomphe du communisme.
On disait aussi, il y a quelques mois : En France, la République? impossible! C'est le rêve d'une imperceptible minorité. Ce serait une affreuse anarchie.
Cela n'était pas dit, que la République était saluée par des vivats unanimes; l'anarchie avait beau souffler, le feu ne prenait pas. Pourquoi ? L'oeil de la nation, éminemment juste quand il veut voir, vit que le soi-disant impossible était seule possible, qu'elle n'était plus à faire, mais bel et bien faite, adulte, capable de tuer la France si la France faisait mine de la tuer. Le nom n'allait guère à la plupart, mai il allait si bien à la chose qu'ils voulaient ou acceptaient tous, qu'il n'y eut qu'une voix : République! Sauriez-vous me dire qui avait fait du mot République un épouvantail? Le parti républicain. Et qui avait fait de la République une nécessité? Son ennemie la plus ardente, la monarchie bourgeoise aidée de la bourgeoisie monarchique.
Eh bien, je le dis avec conviction : si on ne vire de bord sur-le-champ, l'Europe se brise au communisme, tant la manoeuvre générale y porte! Peut-être y serions nous déjà, n'était l'impatience des communistes a vouloir saisir le timon.
- Vous êtes un alarmiste. Un visionnaire.
- Nullement : un alarmiste prêche, crie, tonne, foudroie, s'irrite de ce qu' on ne partage pas sa frayeur. Un visionnaire parle au nom du ciel, annonce des événements surnaturels. Je ne fais rien de semblable.
Appuyé sur les données historiques les moins contestables, voici ce que je dis aux amis de l'ordre et à ce qu'on est convenu d'appeler le parti conservateur:
Le communisme ou le socialisme (au fond, c'est tout un) n'est nullement ce que vous croyez peut-être, le rêve de quelques clubistes forcenés. C'est en réalité le fond de notre droit public; c'est l'application logique à l'ordre social des principes religieux, philosophiques, politiques, a peu près généralement acceptés, prônés et glorifiés par tous les gouvernements de l'Europe depuis trois siècles. La politique du juste-milieu, dont la récente défaite excite encore une si niaise surprise et tant de regrets irréfléchis, ne fut que la persévérante réalisation, au profit de la coterie gouvernante, des principes du socialisme.
Quel est, en effet, le symbole politique de nos hommes d'Etat modernes? Il est tout dans ces deux mots: Omnipotence de l’État ! Et voici le sens de cet article de la foi constitutionnelle :
L'État ou la nation étant la source première de toute souveraineté, de tout pouvoir, if en résulte que la raison publique ou la volonté nationale est la règle suprême des droits et des devoirs, du juste et de l'injuste.
Mais à qui appartient-il de formuler la volonté de la nation et de la transformer en loi? A la majorité des citoyens admis par la loi fondamentale a exercer par eux ou par leurs mandataires le pouvoir souverain. A cette majorité et aux hommes de son choix, le privilège d'imposer leur 'volonté à la nation. Aux citoyens amis de l'ordre, l'obligation de soumettre à l'action souveraine et à la surveillance des gens de l'État leurs libertés religieuses et civiles, l'éducation de leurs enfants, leurs droits et leurs intérêts les plus chers. Par là, ils seront de bons citoyens, de dociles atomes se mouvant dans le sens de l'État. Mais, s'ils s'écartent de ces principes, s'ils prétendent être à eux-mêmes, faire leurs propres affaires, s'associer en quoi que ce soit et pour quoi que ce soit, sans que l'État tienne la chaîne et se fasse payer pour la plomber, oh ! alors ils constituent des sociétés dans la société, des États dans l'État; ils attentent à l'unité politique, principe de toute puissance, de toute vie nationale: il y a anarchie, chaos, danger imminent de mort pour l'État; et l'État, ce grand tout de la politique moderne une fois mort, qui ne voit pour la pauvre espèce humaine l'impuissance absolue de vivre.
Tel est bien le résumé fidèle des doctrines soi-disant libérales des plus chauds défenseurs de la politique conservatrice. Que ces doctrines fussent nettement formulées dans leur esprit et qu'ils en pressentissent les désastreuses conséquences, je ne le pense pas. Hommes d'action et de mouvement, et dénués de ces convictions politiques dont ils faisaient parade à la tribune, ils abandonnaient volontiers la direction des plus hautes affaires aux chances du hasard, aux aveugles inspirations des coteries parlementaires, à l'entraînement de la routine, à ce qu'ils appelaient la puissance irrésistible des faits accomplis et des idées dominantes.
Ainsi, parmi tant de discoureurs infatigables, qui jamais songea à se poser ces questions si naturelles:
- Qu'est-ce donc que cet État dont les droits magiques et toujours indiscutés écrasent les contribuables sous le poids des charges et confisquent rapidement l'exercice de toutes les libertés publiques et privées?
- Sur quoi repose le culte de l'État, divinité abstraite, aussi insaisissable dans son essence qu'insatiable dans ses appétits?
- Cette volonté nationale, qui se traduit en lois brutalement illibérales et rapaces pour pénétrer jusque dans le for inviolable de la conscience et ravir aux citoyens leurs droits les plus sacrés avec leur dernier écu, qu'est-elle, en dernière analyse, sinon le bon plaisir d'un ministre ou d'un chef de bureau, dont tout le talent consiste à transformer en affaires d'argent et matière à emplois les questions les plus vitales, les éléments de la vie religieuse et morale d'un peuple?
Non; jamais questions si audacieuses ne s'offrirent à l'esprit des bénéficiers de l'État: au nom sacré du maître, ils se découvraient, s'inclinaient et votaient avec un imperturbable amour, sachant que l'État se montrait aussi tendre à l'endroit de ses élus qu'impitoyable envers ses damnés. Mêmes procédés de la part des membres de l'opposition, lesquels, en qualité d'héritiers présomptifs du pouvoir, se gardaient d'en contester les merveilleuses prérogatives.
Aussi longtemps que les pontifes de l'État se bornèrent à faire main-basse sur les libertés de la pensée, de la parole, de la religion, de l'instruction, de la famille, des communes, des provinces, toutes choses qui importaient peu en soi et qui rapportaient beaucoup aux feudataires de l'État, la majorité et l'opposition conservatrices unirent leurs efforts pour défendre les plus odieux monopoles et favoriser les effroyables envahissements de l'action gouvernementale.
On se rappelle arec quelle expression de mépris elles accueillaient les prétentions soi-disant gothiques des défenseurs de la liberté religieuse, qui osaient invoquer un droit antérieur et supérieur aux droits de l'État.
Mais aujourd'hui que les organes du socialisme populaire, appuyé sur l'omnipotence de l'État, dissent à la classe opulente: Vous avez enlevé à la circulation publique des terres, des capitaux et certains êtres vivants trop séquestrés pour être utiles. Au nom de l'État, qui en a besoin, remettez tout cela au grand air fécondant de la rue, sinon! Il n'y a qu'un cri d'horreur contre ces prétentions sauvages.
Que ces prétentions soient en effet sauvages et mènent droit à la barbarie, nul doute. Mais, messieurs les conservateurs, ne serait-il pas temps de reconnaître que ces prétentions, au lieu d'être des excentricités doctrinales, ne sont en réalité qu'une déduction rigoureuse de vos principes et le digne couronnement de vos œuvres ?
Et si vous vous flattiez encore d'échapper aux conséquences du droit socialiste, sans lui opposer son unique antidote, les principes du droit social chrétien, votre illusion serait aussi courte que fatale.
Ce droit chrétien, vous l'avez longtemps laissé conspuer à l'ignorance et à la mauvaise foi, sous le nom de droit divin. Apprenez donc à le connaître, car il n’y a de salut que par lui.
CHAPITRE V
Nécessité de disséminer le pouvoir. Inconvénients de sa concentration
dans une classe.
Origine du régime constitutionnel.
Écoutez bien ceci, peuples qui entrez dans la voie des libertés politiques !
Quand, par ses abus, la monarchie pure vous oblige à diviser la trame du pouvoir, laissez-en assez dans la main du monarque pour qu'il ne soit pas un fantôme, et effilochez si bien le reste, qu'il en arrive un fil à chaque citoyen sans distinction de rang; faute de quoi vous ne feriez que substituer au despotisme héréditaire, le despotisme le plus inhumain, le plus dévorant, celui qui voyage de main en main dans le cercle d'une classe.
La position élevée et indépendante d'un monarque, des antécédents de famille féconds en leçons salutaires, la responsabilité inévitable de ses actes au tribunal de l'opinion publique et de l'histoire; enfin, indépendamment des motifs religieux, l'avenir et l'intérêt évident de sa famille, tout, s'il a reçu du ciel une âme et qu'elle ne se soit pas éteinte dans la mollesse, tout lui fait un devoir de se montrer juste, impartial, soigneux des intérêts généraux et de l'honneur de la nation.
Mais le gouvernement aux mains d'une classe, c'est l'avènement successif et rapide au pouvoir d'individus sans précédents ni avenir qui les dirigent et qui les lient. Ils arrivent là, quelques-uns avec des théories ballonnées qui crèvent au contact des affaires; la plupart avec les prétentions et les idées étroites, exclusives, de la coterie qui les envoie; tous avec un fonds d'égoïsme, qui ne sort du moi que pour aller au nous, qui ne voit de nation que dans la classe gouvernante, et traite tout ce qui est au-dessus et au-dessous en contribuables taillables à volonté. Comme ces rois impromptu ne comptent pas sur le lendemain, et que leur responsabilité n'est qu'une fiction, ils saccagent le présent avec une cupide et sauvage imprévoyance.
Vous qui, par le nombre et par votre moralité, formez la majorité réelle et la partie la plus saine de la nation, petits propriétaires et bourgeois des villes et des campagnes, artisans et travailleurs honnêtes, vous seriez sans doute les plus propres à donner au gouvernement ses conditions essentielles: simplicité dans la forme, libertés larges, économie sévère. Mais il faudrait pour cela ne prendre conseil que de votre bon sens, de votre droiture, et vous tenir en garde contre les manoeuvres des fripons qui, après vous avoir enivrés de mensonges et de flatteries, vous font faire d'étranges calculs.
Aux approches des élections, ces gens-là, trop décriés dans leur classe pour y exercer quelque influence, s'abattent sur les bourgs et les campagnes. Vous êtes la majorité, disent-ils, le gouvernement vous appartient de droit: la noblesse et la bourgeoisie vous exploitent; nous sommes, nous, les amis du petit peuple; donnez-nous votre suffrage! Si vous les écoutez, ils se serviront de votre mandat pour démolir à leur profit royauté, noblesse, bourgeoisie, et vous n'aurez fait qu'élever au-dessus de vous un peuple de voleurs.
Ce n'est qu'en vous appuyant à ce qu'il y a de plus honnête dans la haute et moyen bourgeoisie que vous échapperez aux exploitations de la vermine bourgeoise. Mais il ne faut pas abdiquer et dire: Travailler est l'affaire du people! gouverner, l'affaire des messieurs! Car le gouvernement seul des messieurs, c’est le despotisme très-poli dans la forme, très-brutal dans le fond.
Il y a sans doute de grandes lumières et des grandes vertus dans ce qu'on
appelle le juste-milieu; mais c’est au suffrage populaire à les chercher
et à les produire au grand jour. Abandonnez le pouvoir à cette classe, vous
verrez que les grandes lumières et les grandes vertus arriveront trop tard
à la curée. Elles sont naturellement casanières, amies du lieu où elles naissent
et grandissent, du cabinet et de la famille.
Le sceptre écherra donc à la tourbe des oisifs, des ambitieux, des déserteurs
du foyer domestique, de quiconque se lève matin pour échapper aux sommations
de la justice, aux visites des créanciers, et a besoin des affaires publiques
pour relever ses propres affaires.
Une fois au timon, ces messieurs savent s'entourer d'une nombreuse clientèle et conquérir tout ce qu’ils ont perdu et ce qu'ils n'ont peut-être jamais possédé, crédit, fortune, confiance, même l’honneur. La vérité, entravant aussi peu leur langue que la morale, arrête leur main, ils se rendront important par leur intarissable faconde à la tribune et par leur rouerie dans les affaires. Comparé à ces aigles, l'homme de vertu et de savoir ne sera qu'un niais, un incapable.
Si vous leur confiez jamais la mission de bâtir une constitution, un plan de gouvernement, soyez certains que vous aurez une oeuvre digne de leur esprit théoriste, tortueux, formaliste, avocassier, grugeur, mercantile, tracassier, souverainement faux et despotique.
Et n'allez pas croire qu'ils vous donnent cela gratis. Pas un article qui ne vous arrache une liberté en compagnie de quelques millions. Aussi économes que libéraux, ils résoudront admirablement le problème: Trouver le moyen d’obliger un peuple à payer le plus cher possible la perte de toutes ses libertés.
Bref, c'est à cette classe que l’on doit l'introduction et le succès momentané du régime soi-disant représentatif, connu sous le nom de royauté constitutionnelle.
Je ne perdrai pas le temps à raisonner avec les béats qui répéteront jusqu'au tombeau: Cette forme de gouvernement nous vient de l'Angleterre, terre classique de toutes les libertés!
- Je crois connaître assez, leur dirai-je, les institutions politiques de l'Angleterre et son histoire pour vous affirmer ceci: Nos génies constituants n'ont fait que détacher de l'arbre des libertés anglaises trois ou quatre rameaux qu'ils ont plantés dans du papier et arrosés avec de l'encre. Quant à l'arbre, resté là où il avait ses racines, autant il promettait une abondante moisson de libertés et de franchises à l'Angleterre, alors que monarque, aristocratie, bourgeoisie et petit peuple le cultivaient en commun, au soleil de la charité catholique, autant il a protégé de monopoles infâmes depuis que, grâce aux orgies de la royauté antipape, il est devenu propriété d'une oligarchie aristocratico-bourgeoise.
Beau spectacle de liberté, en effet, que celui de quelques milliers de grands seigneurs, de gros propriétaires, industriels et commerçants, travaillés du spleen au sein d'un luxe asiatique, et ne sachant que faire de leurs richesses, tandis que les bras tombent à des milliers de fossoyeurs, ne sachant comment couvrir de terre les cadavres que la faim leur jette par centaines de mille!
Que le catholicisme tarde trop à s'interposer entre ceux qui ont tout et ceux qui n'ont rien, vous verrez le chartisme communiste boire le sang en l'honneur de l'égalité là où le torysme boit l'or depuis des siècles en l'honneur d'une impitoyable liberté.