Note
Présentation faite par l'auteur dans le cadre d'un séminaire d'histoire.
A. Le congrès de Saint-Imier
Du 2 au 7 septembre 1872 se tient le 6ème congrès de l'Association Internationale des Travailleurs à la Haye. Lors du congrès, une majorité de délégués suit l'avis du Conseil Général et vote l'exclusion de Bakounine et de ses partisans de l'Association Internationale des Travailleurs.
En réaction, Bakounine et ses partisans, sans même rentrer chez eux, se réunissent à Saint-Imier et y tiennent un congrès du 15 au 16 septembre 1872, une semaine après le congrès de la Haye.
Les participants de ce congrès sont au nombre de 15 délégués.
Il y a 6 délégués des sections italiennes, dont Errico Malatesta, et Carlo Cafiero. Il y a 4 délégués des sections espagnoles, 2 délégués des sections françaises, 2 délégués de la fédération jurassienne, James Guillaume et Adhémar Schwitzguébel, et 1 délégué de deux sections américaines.
Le congrès de Saint-Imier apparaît bien comme une réaction au congrès de la Haye, ce n'est donc pas ce congrès en lui-même qui provoque la scission avec les autres tendances de l'Association Internationale des Travailleurs, mais c'est ce congrès qui entérine la rupture provoqué par Marx et ses partisans.
Le Congrès de Saint-Imier rejette les résolutions adoptées au congrès de la Haye et signe un pacte fédératif libre entre toutes les fédérations le désirant. C'est ce pacte qui fonde l'Internationale anti-autoritaire.
A noter que James Guillaume avait convaincu Bakounine de l'impossibilité de fonder une Internationale anarchiste, afin d'essayer de garder l'esprit de l'Association Internationale des Travailleurs et de fédérer le maximum de sections autour de l'Internationale anti-autoritaire.
Dans l'Internationale anti-autoritaire, à la place du Conseil Général, il y a un simple Bureau fédéral international, dépourvu de rôle dirigeant, qui s'occupe simplement de faciliter les échanges entre les différentes fédérations et sections.
Marianne Enckell met en évidence le rôle de lien permettant l'unité que joue la Fédération Jurassienne au sein de l'Internationale anti-autoritaire. C'est d'ailleurs probablement pourquoi le Bureau fédéral international coordonnant les différentes fédérations se trouve la plupart du temps au Jura.
B. Le congrès de Genève
L'Internationale anti-autoritaire organise un congrès international à Genève du 1 au 6 septembre 1873, une semaine avant le congrès de l'Internationale centraliste.
Ce congrès de l'Internationale anti-autoritaire est revendiqué comme étant le 6ème de l'Association Internationale des Travailleurs puisque les anti-autoritaires ne reconnaissent pas le congrès de la Haye.
On voit ici la volonté de l'Internationale anti-autoritaire de se positionner comme la continuatrice de l'Association Internationale des Travailleurs, et de présenter les autres tendances, dites autoritaires, comme les véritables scissionnistes.
Toutes les tendances sont les bienvenues à ce congrès, à l'exception de celle de Marx et de ses partisans, des socialistes allemands, et des blanquistes.
Il y a des délégués des trade-unions anglais, des internationalistes espagnols, des délégués de sections françaises, des Jurassiens, des Hollandais, et des Belges, qui assistent à ce congrès de Genève.
Tous se retrouvent dans leur adhésion au principe de l'autonomie des sections et de l'hostilité aux manœuvres du Conseil Général.
Il y a toutefois une opposition entre ceux qui pensent qu'un Conseil Général est inutile et ceux qui pensent qu'il faut maintenir un point de coordination entre les fédérations, entre ceux qui prônent la participation parlementaire et l'instauration progressive du socialisme par des réformes, et ceux qui prônent l’abstentionnisme et la révolution.
On voit ici que le pacte d'amitié liant les fédérations concerne essentiellement les fédérations espagnoles, italiennes, et jurassiennes, qui se retrouvent sur les mêmes idées.
C'est à partir de ce congrès que les divergences vont aller croissantes, dans la théorie et dans l'action, dans l'Internationale anti-autoritaire.
D'une certaine façon c'est inévitable, car, vu que l'Internationale anti-autoritaire cherche à rassembler au-delà des seuls anarchistes, elle fait face aux mêmes débats qui avaient lieu au sein de l'Internationale avant la scission.
Lors du congrès de Genève se tient un débat, voulu par les Belges, sur la grève générale (grève universelle).
Suite au débat, le principe de la grève générale est adoptée secrètement mais l'Internationale anti-autoritaire évite de le clamer trop fort par souci d'éviter une répression accrue envers le mouvement ouvrier.
Mais il y a toutefois des différences de perception sur l'utilité de la grève générale au sein de l'Intenationale anti-autoritaire.
Certains la voient comme l'équivalent de la révolution sociale devant amener à l'expropriation des classes possédantes, d'autres comme un simple mouvement d'agitation devant permettre d'obtenir des réformes.
C. L'Internationale centraliste
De son côté, le congrès de l'Internationale centraliste, qui se tient du 7 au 13 septembre 1873, aussi à Genève, est un échec total. La trentaine de délégués présent n'est pas représentative du mouvement ouvrier, et aucun procès-verbal n'est rédigé.
A partir de ce moment-là, l'Internationale centraliste n'est plus qu'une coquille vide. Le dernier acte de cette Internationale centraliste se tient le 15 juillet 1876, avec son dernier congrès officiel, organisé à Philadelphie.
Aucun délégué européen n'est venu assister à ce congrès.
Lors de cet ultime congrès, les délégués présents décident de dissoudre le Conseil Général jusqu'à ce que les conditions soient plus favorables au lancement d'une nouvelle organisation internationale des travailleurs.
C'est la fin de cette Internationale.
D. L'Internationale anti-autoritaire en Espagne
De son côté, l'Internationale anti-autoritaire poursuit son chemin.
En 1873, la République est proclamée en Espagne, et les membres de l'Internationale anti-autoritaire (qui sont 30 000 en Espagne) participent activement aux grèves et aux soulèvements qui ont lieu dans tout le pays.
Ils sont toutefois réprimés par l'armée et plusieurs centaines d'entre eux sont exécutés.
Face à la répression, la fédération espagnole de l'Internationale anti-autoritaire plonge dans la clandestinité, et prône l'usage de la violence.
Concrètement, l'usage de la violence se traduit par des sabotages et des destructions de machines, par la pose de bombes dans les usines, les ateliers, et les logements des employeurs, ou encore par le pillage de greniers à blé.
Mais globalement, la violence n'est pas dirigée contre des personnes.
En janvier 1874, après la restauration de la monarchie, l'Internationale anti-autoritaire est dissoute par les autorités.
Malgré cela, en 1882, l'Internationale anti-autoritaire compte 60 000 membres, le double de ses forces en 1873.
E. Le congrès de Bruxelles
En 1874 à Bruxelles, du 7 au 13 septembre, se tient le troisième congrès de l'Internationale anti-autoritaire.
16 délégués sont présents, dont 10 Belges.
Les oppositions entre collectivistes révolutionnaires (anarchistes) et réformistes, qui étaient déjà présentes au congrès de Genève, se répètent.
Au congrès de Bruxelles de 1874, De Paepe fait une proposition de synthèse entre socialisme étatiste modéré et collectivisme anti-autoritaire.
Cette proposition est axée autour de la défense des services publics aux mains des travailleurs à travers la commune les fédérant.
La fédération belge est elle-même partagée, la plupart des Flamands soutiennent les thèses socialistes étatistes tandis que les autres soutiennent les thèses libertaires.
F. La mort de Bakounine
Quant à Bakounine, le 25 septembre 1873, dans une lettre publique au Journal de Genève, Bakounine déclare se retirer de la politique, dégoûté des intrigues et des attaques de ses adversaires.
Après une dernière tentative, avortée, de libérer une ville italienne par la force, Bakounine meurt le 1er juillet 1876 à Berne.
Sur sa tombe se rassemblent des représentants de l'Internationale anti-autoritaire de cinq nations différentes.
Ils y ré-affirment l'importance d'une réconciliation entre tendances libertaires et étatistes.
G. Le congrès de Berne
C'est à cause des tentatives révolutionnaires de 1873 et de 1874 en Espagne, sur les demandes de la fédération espagnole de l'Internationale anti-autoritaire, qui subit une répression féroce, que ne se tient pas de congrès en 1875.
Le congrès de 1875, projeté à Barcelone, est donc repoussé d'une année.
En 1876, se tient le quatrième congrès de l'Internationale anti-autoritaire à Berne. Des délégués italiens et espagnols sont présents. Ainsi que des délégués des fédérations belges, hollandaises, françaises, jurassiennes, et genevoises.
A l'occasion de ce congrès, on peut faire le constat que les sections et les fédérations de l'Internationale anti-autoritaire s'affaiblissent en France, en Espagne, en Italie, à cause de la répression, tandis que les sections belges se tournent quasiment toutes vers les moyens légaux de lutte.
H. L'Internationale anti-autoritaire en Italie
En 1876, traqués par les autorités les anarchistes italiens de l'Internationale anti-autoritaire décident de passer à la propagande par le fait, soit à l'insurrection, censée servir de détonateur à une explosion sociale révolutionnaire généralisée.
Après un premier échec à Bologne en 1874, 30 libertaires italiens se lancent donc dans une guérilla montagnarde en 1877.
Ils se rendent dans un premier village où ils tirent sur les carabiniers, et y annoncent dans l'enthousiasme des habitants l'abolition de la propriété et des chefs.
Puis ils se rendent dans un deuxième village où les habitants craignent la répression. A juste raison, puisque finalement 12 000 soldats sont envoyés pour les arrêter, et les arrêtent sans échanger le moindre coup de feu.
I. Le congrès de Verviers
En septembre 1877 se tient à Verviers en Belgique l'avant-dernier (et cinquième) congrès de l'Internationale anti-autoritaire.
A ce congrès se séparent deux tendances.
L'une proche du syndicalisme réformiste et électoraliste, et l'autre proprement révolutionnaire, allant jusqu'à prôner des formes de terrorisme.
A noter que la tendance insurrectionnelle prônant la propagande par le fait va finalement s'aliéner progressivement le soutien de la classe ouvrière.
Ce dernier congrès voit donc les oppositions entre libertaires révolutionnaires et étatistes réformistes. Encore une fois...
Pendant cette dernière année de l'Internationale anti-autoritaire, la correspondance entre sections a été mal tenue. Certains frais n'ont pas été payés. Les études statistiques n'ont pas été faites. La caisse spéciale de propagande n'a pas été créée. Bref, on peut faire le constat de la dislocation de l'Internationale.
En août 1878, à Fribourg, se tient un ultime congrès qui entérine formellement la dissolution de l'Internationale anti-autoritaire en annonçant la fin des congrès internationaux.
C'est la fin de l'Internationale anti-autoritaire.
James Guillaume pense que la fatigue des militants les plus dévoués, et son propre départ, ont causé l'éclatement de la Fédération jurassienne et que cet éclatement aurait provoqué la mort de l'Internationale anti-autoritaire.
Mais en étudiant le parcours de l'Internationale, on peut probablement faire l'hypothèse que ce sont les divergences de position et de pratique politique qui ont miné l'organisation, et ont provoqué sa fin, ainsi que la répression croissante de la part des différents États européens.
J. Le congrès socialiste universel de Gand
Une tentative de concilier les diverses tendances a lieu lors d'un congrès socialiste universel qui se tient du 6 au 16 septembre à Gand en Belgique à l'initiative de De Paepe.
On y retrouve des socialistes étatistes réformistes, des libertaires révolutionnaires, et des conciliateurs belges.
Toutefois, les socialistes non libertaires profitent de ce congrès pour se réunir seulement entre eux.
Les libertaires ne seront pas invités aux futurs congrès organisés par les socialistes.
K. L'ultime tentative de réactiver l'Internationale anti-autoritaire
La dernière tentative des anarchistes de réactiver l'Internationale anti-autoritaire a lieu lors d'un congrès qu'ils organisent à Londres du 14 au 20 juillet 1881.
Ce congrès réunit 45 délégués de 60 sections de l'Internationale, ou de cercles anarchistes, avec de nouvelles représentations comme la Serbie, la Turquie, l’Égypte, ou le Mexique.
Le congrès fait preuve d'une grande radicalité dans ses déclarations, que ce soit en exaltant le prolétariat en haillons, l'incendie d'usines, l'abandon de la légalité, ou le lynchage des propriétaires.
La propagande par le fait semble être le seul moyen révolutionnaire reconnu.
Toute tentative d'organisation est décrétée vaine, seul compte l'esprit de la révolte qu'il faut distiller parmi les masses.
Pourtant, dès l'année suivante, en 1882, un certain nombre d'anarchistes abandonnent la propagande par la fait et reviennent à des modalités d'action légales.
Bibliographie
Sources
Association Internationale des Travailleurs, Résolution du congrès jurassien, tenu à Saint-Imier, Neuchâtel, 1872
BAKOUNINE, Michel, Œuvres complètes, (tome 3: Les conflits dans l'Internationale, 1872), Editions Champ libre, Paris, 1974.
Documents généraux
ANGAUT, Jean-Christophe, « Le conflit Marx-Bakounine dans l'Internationale: une confrontation des pratiques politiques », in Actuel Marx, n°41, Paris, 2007/1, pp.112-129.
BAER François (dir.), Une pensée unie - mais pas unique, 125 ans Parti Socialiste Suisse, Redboox éditions, Zürich, 2013
BAILLARGEON Normand, L'ordre moins le pouvoir : histoire et actualité de l'anarchisme, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2001, 152 p.
BERTHIER René, La fin de l'AIT et la rupture avec le bakouninisme, Éditions du Cercle d'études libertaires-Gaston-Leval-monde-nouveau.net.
ENCKELL Marianne, La Fédération jurassienne, Canevas Éditeur, Saint-Imier, 1991.
LEONARD Mathieu, L'émancipation des travailleurs, Éditions La fabrique, Paris, 2011.
MAIREY Serge, Les trois Internationales, Éditions Sociales, Paris, 1955
RUBEL Maximilien, Marx, théoricien de l'anarchisme, Éditions Entremonde, Genève, 2011
THOMANN Charles, Les hauts lieux de l'anarchisme jurassien, Éditions du Haut, La Chaux-de-Fonds, 2002.
VUILLEUMIER Marc, Histoires et combats, mouvement ouvrier et socialisme en Suisse 1864-1960, Éditions d'en bas, Ulm, 2012.